Article originally published
on www.novethic.fr in July 10th 2015.
À cinq mois de la COP 21 organisée à Paris,
la France se doit d'être exemplaire. L'attitude du gouvernement de Manuel Valls
sur le charbon, l'énergie fossile la plus émettrice de CO2, reste pourtant
ambiguë. Car si les subventions directes ont bien été supprimées, la fin des crédits à l’export,
promise par François Hollande lors de la dernière conférence
environnementale, n’est pas encore actée. Elle pourrait même être remise
en question au profit d’un seul industriel français : Alstom. Explications.
Difficile d’exiger des autres ce que
l’on n'applique pas à soi-même. En accueillant la 21ème conférence climatique,
la France se veut particulièrement exemplaire, notamment sur la question du
charbon, énergie extrêmement polluante. Sur ce terrain, à première vue, elle
paraît quasi irréprochable : seulement 1,5 % de la production nationale
d’électricité provient du charbon, selon le dernier bilan du gestionnaire
du réseau de transport électrique français RTE.
Quant aux subventions directes, qui
transitent par le biais de l’AFD (Agence française de développement), elles ne
peuvent plus servir à soutenir des projets liés au charbon, notamment des
centrales sans captage ou stockage de CO2 (CSC), depuis mars 2013.
Mais pour dresser un panorama
complet du financement du charbon par la France, il faut aller plus loin. Outre
les entreprises françaises, banques ou énergéticiens, qui
peuvent notamment financer des projets de centrales à charbon à l’étranger,
l’État français participe lui-même au développement du secteur à l’étranger,
via ses crédits à l’export. Gérés par la Coface, ils offrent
des garanties aux entreprises françaises qui exportent leur technologie dans
les pays du Sud, et leur permettent d’être plus compétitives.
Un report à 2020, voire 2030
Lors de la conférence
environnementale de novembre dernier, le président de la République s’était
engagé à mettre fin à ces crédits à l’export pour le charbon. Une promesse
saluée par les ONG comme "un premier engagement concret sur les
énergies fossiles en vue de la COP 21".
Mais la mesure est en train d’être
détricotée. Déjà en février dernier, le premier ministre Manuel
Valls avait précisé que seules les centrales à charbon
dépourvues d’un système de CSC seraient exclues, alors que la
technologie est encore balbutiante. Et qu’il appartiendrait à la ministre de
l’Écologie "de présenter (…) un calendrier concret de retrait qui
tienne compte évidemment de la situation des entreprises". La voie
ouverte à une édulcoration de la mesure, selon les ONG environnementales.
Une crainte qu'elles voient
aujourd'hui se matérialiser. Le mercredi 8 juillet, Les Amis de la Terre, WWF,
Oxfam, FNE (France Nature environnement et le RAC (Réseau action climat) ont
publié un communiqué alertant sur un
possible retour en arrière. Elles s'alarment "de voir
que certaines options actuellement sur la table videraient même l'engagement de
son contenu", et dénoncent un report de la mesure annoncée par
François Hollande à 2020. Voire 2030.
Alstom, seul bénéficiaire des crédits à l’export pour le charbon en France
Ce qui a semé le trouble ? Une note
gouvernementale diffusée le 25 juin au CNTE (Conseil national de la transition
écologique) qui rassemble des ONG, des syndicats, des élus et des entreprises.
Sans en-tête ni signature, elle ressemble davantage à une étude de marché pour
le groupe Alstom, auquel il est largement fait allusion mais dont le nom
n’apparaît jamais. Alstom qui est l’unique bénéficiaire des garanties à l’export
de la France pour le charbon.
Selon les calculs de l’agence de presse AEF,
entre 2001 et 2014, cinq projets de centrales à charbon ont bénéficié des
garanties à l’export de la Coface, pour un montant total de 1,3 milliard
d’euros. Tous sont portés par Alstom.
La note de "Mise en œuvre de la
suppression des crédits exports charbon" adressée au CNTE précise pourtant
que "la France accueille une importante activité industrielle
d’ingénierie dédiée à la construction et à la maintenance des centrales à
charbon à l’export (…) qui emploie 750 salariés sur les sites de Belfort et de
Massy. (…) Ces emplois sont très aisément délocalisables". Ici, il
s’agit bien de deux sites d’Alstom.
Vers un statu quo ?
La note propose cinq scénarios
incluant des régimes d’exemption à la suppression des crédits à l’exportation"parmi
lesquels quatre reviennent à un statu quo" estime Lucie Pinson,
de l'ONG Les Amis de la Terre. Le premier, le seul qui satisfait plus ou moins
les ONG, semble balayé par les auteurs de la note qui concluent :"Ce
régime d’exemption ne laisse aucun marché pour la filière dans les cinq
prochaines années".
Quant aux autres scénarios, ils
semblent taillés pour laisser l’entreprise développer son activité à
l’étranger, estiment les ONG : "Trois des cinq régimes d'exemption
listés dans la note du gouvernement permettraient à Alstom de bénéficier de
garanties à l’export vers plus de 60 % du marché mondial en cours ou
futur, et jusqu’à 86 % dans le dernier scénario. L’entreprise pourrait
même exporter des centrales moins performantes que ce qui se construit déjà
dans des pays émergents, ce qui serait complètement contre-productif d’un point
de vue climatique."
Une nouvelle réunion du CNTE est prévue
le 21 juillet. Les ONG présentes ont prévu de mettre le sujet sur la table,
mais elles risquent d’être les seules, les syndicats ne s’étant pour l’instant
pas manifestés. Elles ont aussi rencontré Annick Girardin, dans le cadre d’une
réunion avec les ONG sur la COP 21, le jeudi 9 juillet. "Pas de
recul à ce stade" a assuré la secrétaire d'Etat au
Développement. C’est au cours d’une réunion interministérielle, dont la
date reste encore à fixer, que le gouvernement tranchera la question.
En cas de marche arrière, la France
tiendrait une position difficile à assumer en tant qu’hôte de la COP 21,
alors même que des négociations sont en cours pour parvenir à un arrêt des
crédits à l'export pour les centrales à charbon au niveau de l’OCDE. Et ce même
si la dernière réunion du club des pays développés, au mois de juin, n’a pas
permis d’avancer sur la question.
De son côté, Alstom indique "avoir
pris note de la volonté du gouvernement de définir un calendrier de retrait des
crédits exports incluant du charbon" dont "la mise en
œuvre sera faite en concertation avec l’ensemble des acteurs du secteur et en
tenant compte des implications sur cette filière d’excellence et sur notre
activité en France et en Europe et des conséquences sur les rendements de
centrales à charbon dans nos marchés à l’export". Le groupe, qui
assure employer plus de 1000 personnes en France (Massy et Belfort) dans ce
secteur, dit espérer"pouvoir continuer à développer ces technologies en
France, et notamment le captage et le stockage du CO2".