Friday, September 7, 2012

Pourquoi l'Europe s'attaque-t-elle au solaire chinois ?


Article publié sur le site www.lemonde.fr, le 07 septembre 2012

C'est le litige commercial le plus important impliquant la Chine et l'Europe. La Commission européenne a lancé, jeudi 6 septembre, une enquête antidumping contre les fabricants chinois de panneaux solaires. Une décision qui risque de faire monter la pression dans le conflit qui oppose des sociétés européennes d'énergie photovoltaïque à leurs rivales chinoises.

Quelle est l'origine de ce conflit ?
La décision de la Commission fait suite à une plainte déposée le 25 juillet par un groupement d'entreprises européennes présentes dans l'industrie solaire, EU ProSun, qui reproche à Pékin d'accorder des prêts importants et autres mesures protectrices aux entreprises photovoltaïques chinoises.

"Les sociétés chinoises vendent des panneaux solaires en Europe bien en dessous de leur coût de production, avec une marge de dumping de 60 % à 80 %", assure dans un communiqué Milan Nitzschke, président d'EU ProSun. "Cela implique que les entreprises chinoises du secteur solaire font d'énormes pertes, mais pour autant, elles ne font pas faillite car leurs pertes sont compensées par l'Etat chinois."

La Commission devra donc déterminer, pendant quinze mois, si ces produits sont vendus à un prix inférieur à leur coût de production. Elle pourra prendre des mesures provisoires, sous forme d'augmentation des droits de douane, d'ici à neuf mois.

Au printemps, une plainte similaire avait déjà été déposée aux Etats-Unis, après que le ministère de l'énergie a estimé que les fabricants chinois avaient bénéficié en 2010 de 30 milliards de dollars (22,6 milliards d'euros) de subventions illégales de la part des banques chinoises. Cette procédure avait conduit Washington à imposer, en mai, des droits de douane allant de 31 % à 250 % sur les panneaux solaires chinois.

Comment s'organisent les constructeurs chinois ?
Depuis cinq ans environ, la Chine investit massivement dans l'industrie photovoltaïque, à coups de dizaines de milliards d'euros. "Cela lui a permis de créer d'énormes économies d'échelle et donc de baisser les coûts de fabrication. Le coût du travail, très bas, lui a aussi permis d'abaisser les prix. Enfin, les entreprises chinoises jouissent d'un contexte très favorable, les banques d'Etat leur permettant d'emprunter à des taux intéressants tandis que les autorités locales leur vendent des terrains à des prix très bas", expliquait Paolo Frankl, responsable de la division énergies renouvelables à l'Agence internationale de l'énergie, dans un entretien au Monde.fr.

En produisant beaucoup et peu cher, les entreprises chinoises ont alors considérablement fait gonfler un marché jusqu'alors limité, entraînant une offre deux fois supérieure à la demande : la capacité de production s'est élevée à 50 gigawatts (GW) en 2011 pour une capacité d'installation estimée à 27 GW. Cette surproduction, à bas coût du côté chinois, a provoqué une baisse des prix, jusqu'à 75 % en trois ans dans certains pays.

Résultat : la Chine est devenue le premier producteur mondial de panneaux, en fabricant plus de la moitié des modules commercialisés sur la planète. Sur les dix plus gros fabricants de panneaux solaires, cinq sont par ailleurs Chinois, comme Suntech, Yingli ou encore Trina Solar. En 2011, Pékin a vendu pour 21 milliards d'euros de panneaux solaires et autres composants à l'UE, soit environ 60 % du total des exportations chinoises dans ce domaine.

Quelle est la conséquence pour les entreprises européennes ?
Face aux prix très bas imposés par la Chine, la filière solaire européenne se porte mal. Rien qu'en 2012, une vingtaine de fabricants majeurs ont été contraints de cesser leur activité, au premier rang desquels l'entreprise allemande Q-Cells, autrefois numéro un mondial des cellules, qui a déposé son bilan début avril. C'est donc tout le secteur européen de l'énergie solaire qui s'interroge sur son avenir, alors même qu'il est censé jouer un rôle-clé puisque l'Union européenne entend produire 20 % de son énergie à partir de sources renouvelables en 2020.


En France aussi, la reprise par EDF, en février, du pionnier du photovoltaïque, la société Photowatt de Bourgoin-Jallieu (Isère), placée en redressement judiciaire, a démontré la grande fragilité du secteur.

Quelles sont les autres raisons du marasme européen ?
Au-delà de la concurrence chinoise, le photovoltaïque européen souffre également des mesures de restrictions gouvernementales et des réductions d'avantages décidées un peu partout en Europe. "Alors que les prix des équipements baissaient drastiquement, les prix de vente de l'électricité n'ont pas diminué à la même vitesse en Europe. Il y a eu un décalage : certains producteurs ont fait des profits trop coûteux pour les consommateurs. On a alors créé une bulle, avec un risque d'effondrement du marché", justifie Paolo Frankl, de l'Agence internationale de l'énergie.

Depuis avril, l'Allemagne rachète par exemple l'électricité des grandes installations à 16,5 centimes d'euros par kilowattheure et 19,5 centimes pour les petites installations contre respectivement 18 et 24 centimes l'an dernier.

Comment l'Europe peut-elle relancer son marché ?
"Le défi pour l'industrie européenne est d'abord de trouver de nouveaux marchés, en Amérique du Sud, en Afrique du Nord, au Moyen-Orient, en Inde ou encore aux Etats-Unis et au Japon. La ressource solaire est aujourd'hui partout dans le monde : aujourd'hui, cinq marchés sont supérieurs à 1 GW, et quinze marchés sont supérieurs à 100 MW sur la planète ; en 2015, il y aura au minimum quarante marchés supérieurs à 100 MW", livre Paolo Frankl.

Et l'expert de poursuivre : "Le marché européen peut ensuite se différencier grâce à sa valeur ajoutée, en termes d'application des systèmes photovoltaïques et d'intégration dans les bâtiments."

Comment la Chine a-t-elle réagi à l'enquête européenne ?
Les entreprises chinoises concernées – dont Yingli Green Energy, Suntech Power Holdings, Trina Solar et Canadian Solar – ont menacé de déclencher une guerre commerciale et appelé le gouvernement chinois à riposter à l'enquête en cours. La première réponse de Pékin a cependant été plus mesurée et n'a fait aucune allusion à de possibles mesures de rétorsion.

"La Chine exprime ses profonds regrets", a réagi le porte-parole du ministère du commerce, Shen Danyang, dans un communiqué publié sur le site du ministère et cité par Reuters. "Des restrictions imposées aux panneaux solaires chinois n'affecteraient pas seulement les intérêts de l'industrie chinoise et européenne, mais ruineraient le bon développement du secteur solaire et de l'énergie renouvelable dans le monde", a-t-il assuré, invitant l'UE à privilégier "la consultation et la coopération".

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